Denys Pouillard

Referendum ou consultation ? Il faut choisir

15 septembre 2025 l Denys Pouillard – Observatoire de la vie politique et parlementaire

Lors du referendum d’avril 1969, une question subsidiaire s’était introduite après le verdict historique ! Ce doigt pointé vers l’électeur sur les affiches électorales lui intimant l’ordre « Votez OUI, votez NON…mais VOTEZ » ne laissait-il pas supposer qu’une image subliminale- la fameuse « 25 ème image » ! – s’était invitée dans la campagne ? En clair, le « Votez » final suggérait-il un message plus partisan… « Votez OUI » ? Quelques années plus tard, des parlementaires s’en inquiétèrent, le président du Conseil constitutionnel fut alerté… La réponse comme on pouvait s’y attendre fut une négation de toute intention malveillante et un blanchiment du Centre d’information Civique s’en suivit. Côté scientifique et auprès d’experts de la communication politique particulièrement américaine, ce n’était pas si évident et valait mieux clore le sujet. D’ailleurs à quoi bon polémiquer puisque c’était le « NON » qui l’avait emporté !

Pourquoi évoquer cette anecdote ? Pour rappeler que derrière l’intention noble et louable de consulter le peuple et la simplicité binaire qui lui permet de répondre à des questions parfois complexes, longues, voire à tiroir, se cache toujours une crainte légitime de la suspicion, de la manœuvre, des menaces et du chantage aussi.

Nous restons scotchés aux plébiscites du second Empire : 1851 (« l’appel au peuple », 1852 (« rétablir la dignité impériale » et diaboliquement mai 1870 (« mettre aux voix l’Empire »), quelques semaines avant la défaite et la chute programmée du régime ! Il fallait répondre OUI ou NON à l’Empereur tout comme les populations de Nice et celle de Savoie en 1860 par un OUI au rattachement à la France devaient plébisciter la politique impériale.

Pour tourner la page de la troisième République et des quatre années du régime de l’État français, le 21 octobre 1945, deux questions – déjà ! – posées par le général de Gaulle : la première simple avec une réponse par oui ou par non… et une seconde plus insidieuse, en cas d’approbation à la première, en approuvant ou désapprouvant un texte au verso ; le oui fut massif à la première question (96,15 %) et moins brillant à la seconde (66,3 %). Le général avait donc gagné ce referendum en y jetant, au demeurant, son sort personnel au cas où le peuple français rejetterait le projet référendaire. On serait tenté de poser la question : si le non l’avait effectivement emporté !

D’où, à l’avenir, la fragilité et le risque plus politique que juridique dans le maniement des questions multiples, au-delà même d’un tout relatif « courage » de l’auteur de telles initiatives.

L’électeur – comme le client – est roi !

Après deux referendum (victoire du non le 5 mai 1946 et victoire du oui le 13 octobre) pour mettre en place la Constitution de la quatrième République, celui de septembre 1958 inaugure la Ve République.

La confiance dans la politique algérienne du Président de la République lui permet

de faire triompher le oui au dessus des 75 % des suffrages exprimés (75,2 % le 8 janvier 1961 pour l’approbation de la politique d’autodétermination et 90,6 % le 8 avril 1962 pour l’approbation des accords d’Évian et délégation de pouvoir pour leur application).

Le vent commence à tourner le 28 octobre 1962 à l’occasion du projet de loi modifiant la Constitution et permettant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct : le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel contestent le recours à l’article 11 et affirment que la question référendaire est une réforme constitutionnelle et relève de la procédure prévue à cet effet c’est-à-dire celle de l’article 89 et de la convocation du Congrès et non de l’appel au peuple. Pour la première fois depuis 1958 le « oui » – certes majoritaire avec 61,7 % des suffrages exprimés – descend sous la barre des 50 % des inscrits. Un premier signal qui aurait du alerter l’entourage du Président…La magie ne suffisait plus et l’indispensabilité ne séduisait pas la nouvelle génération électorale.

Six ans et demi plus tard, le 27 avril 1969, le Conseil d’État réitère sa condamnation du recours à l’article 11 particulièrement en ce qui concerne les modifications apportées au Sénat ; c’est le « non » qui l’emporte (53,2 %) et avec lui la démission du Président de la République.

Ce referendum de trop hante, depuis, les présidents en exercice ! La crainte de « l’électeur roi » qui profite de l’occasion pour sanctionner une politique et au passage dupliquer le « coup » osé du printemps 69…

Même pour un référendum entrant dans le périmètre des traités européens comme celui du 23 avril 1972, l’indifférence de l’électorat (39,5 % d’abstentions) et le plus fort taux de « blancs et nuls » (7,1 %) sont autant de clignotants qui doivent inciter à une gouvernance prudente ; François Mitterrand faillit en faire les frais le 20 septembre 1992 face à une mobilisation exceptionnelle de l’électorat dans un cadre référendaire (30,30% seulement d’abstentions) approuvant de justesse le traité de Maastricht avec 51,04 % de suffrages exprimés)…et que dire du referendum du 29 mai 2005 qui conduisit, cette fois, à la victoire large du « non » (54,67 %), mobilisant qui plus est 69,37 % du corps électoral pour repousser le projet de Constitution pour l’Europe.

Cette séquence de 2005 laissa des traces et à chaque élection présidentielle depuis, la question revient en boomrang dans les campagnes électorales : que ferez vous si le « non » l’emporte à l’une de vos initiatives référendaires ? Comme si 1969 était devenue la règle et 2005 l’exception ! Or 1969 est plus une exception qu’une règle dans la logique de la souveraineté démocratique et il n’est écrit nulle part que le rejet d’une réforme par le peuple entraîne la démission de son auteur… et l’auteur dans cette hypothèse se grandirait, au contraire, en reconnaissant la volonté du peuple, et l’actant comme une coconstruction de l’action publique.

La crainte justifiée du « referendum plébiscite » devrait ouvrir la voie à l’esprit de consultation

Nous vivons sous le régime de la consultation. C’est un fait autant juridique que commercial !

Juridique car dans nombre de lois ont été introduits, en matière environnementale, d’aménagement de politique de la ville et bien d’autres périmètres, des organes de consultation des citoyens ou des usagers ; commercial car une loi de l’offre et de la demande s’est intégrée au pouvoir de décision, au travers des instituts de sondages, censés délivrer à la fois l’état de l’opinion et ce qu’elle attend. Une troisième variante de la consultation fait flores : les « cahiers de doléance » et les conventions citoyennes spontanées ou constituées à partir d’une formule originale, le tirage au sort.

Mais voici que le « désir de consultation » est devenu un remède d’apaisement pour calmer les douleurs, un baume politique vite traduit juridiquement par ce retour à ce satané referendum qui nous colle à la peau… une glue parce qu’il n’existe aucun autre texte constitutionnel, à l’échelon national, octroyant aux dirigeants le droit de demander un simple avis, une opinion. Même les instituts de sondage passent par la case « referendum » ! Le dernier en date (Elabe pour BFM TV du 5 mai 2025) nous apprend que 83 % des Français seraient favorables au recours référendaire et dans l’ordre de préférence des sujets à soumettre à la « question », la dépense publique, la dette et les impôts, puis l’immigration, la réforme des retraites, la fin de vie etc…

L’actuel Premier ministre a lancé l’idée d’un referendum sur le budget, le Président de la République, à de nombreuses reprises depuis la Covid et les manifestations des gilets jaunes, évoque les consultations nécessaires des Français ou la mise en œuvre de referendum… et la possibilité de referendum à questions multiples.

Rappelons le droit et montrons que les choses ne sont pas si simples

Le referendum selon la procédure constitutionnelle de l’article 11 nécessite un projet de loi ce qui veut clairement dire qu’on ne demande pas de répondre oui ou non à une simple déclaration d’intention. Néanmoins on peut imaginer – comme en 1945 – une réponse à une première question d’ouverture (sorte de micro exposé des motifs) et une seconde question embrayée sur le choix affirmatif à la première accompagnée (« au verso » !) d’un projet de loi, authentique. Encore faudrait-il que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel donnent leur avis et qu’il soit respecté.

Concernant les procédures budgétaires, on se heurterait à l’article 47 de la Constitution qui cadre la procédure d’adoption du budget ce qui écarte dès lors le recours à l’article 11 mais relève directement de la révision constitutionnelle par la voie de l’article 89 (la jurisprudence du Conseil constitutionnel ayant mis un terme au « détournement » tel qu’il fut pratiqué en 1962 et 1969).

En matière de détournement ou de contournement, il faut également prendre garde à ne pas créer des procédures innovantes de substitution, c’est-à-dire faire adopter en aval par referendum un projet de loi dont la substance aurait été, en amont, retoquée ou mal élaborée, ou abandonnée en cours de « navette » législative ; ce serait un abus de pouvoir que le Conseil d’État et le Conseil Constitutionnel ne manqueraient pas de relever.

Enfin la question du referendum à choix multiple si séduisante soit-elle interpelle quand même au niveau de la mise en œuvre. Ou bien il s’agit d’un projet de loi unique qui comprendrait des dispositifs épars répondant à des thématiques retenues dans le cadre de l’article 11 ; ou bien autant de projets de loi qu’il y a de thématiques à faire arbitrer par le peuple souverain c’est-à-dire autant de referendum qu’il y a de projets de loi ! La lisibilité par l’électeur en serait confuse sauf à supposer que les dispositifs ne comportent qu’un seul article et que ce dernier soit suffisamment intelligible, concis et d’application opérationnelle.

En rappelant que le « projet de loi » est la clef de voute d’une mise en action de la procédure référendaire, on perçoit les limites de l’exercice, les risques juridiques et politiques et l’on peut comprendre que les bonnes intentions trouvent sur leur chemin des obstacles inattendus au point d’en retarder souvent la programmation. Raison de plus pour réfléchir à un modèle populaire de la consultation citoyenne même à choix multiple dans un cadre constitutionnel pour accompagner la décision ou orienter une politique de manière à faire vivre la démocratie non pas autrement mais utilement.

(Article paru dans Experts comptables et mandats publics )