Évaluation

L’école prépare les jeunes à devenir autonomes, mais doit encore construire sa propre autonomie

20 septembre 2023 l Danièle Lamarque – Présidente du Comité Carnot

Dans le billet ci-joint, le recteur Alain Bouvier rappelle l’histoire de la notion d’autonomie collective, qui émerge dans le sillage de 1968, sa fluctuation politique entre la droite et la gauche et le peu de succès (à l’exception des ZEP) des tentatives pour donner aux acteurs de terrain des marges d’autonomie collective à employer comme ils le souhaitent (qu’on se rappelle les éphémères TPE). Repris par le Conseil national de la refondation, préconisé par une note récente de la Cour des comptes, le thème est d’actualité. En en faisant une « nouvelle frontière», l’auteur nous suggère que l’on trouvera au-delà, pour reprendre les termes du discours de JF Kennedy de 1960, des « domaines inexplorés » et « des poches d’ignorance et de préjugés non encore réduites ».

Pas d’autonomie sans responsabilité, pas de responsabilité sans outils de management et d’évaluation. L’école a encore des progrès à faire dans ce domaine, pour bâtir des projets d’école ou d’établissement adaptés à leur contexte et aux besoins des élèves, associant l’ensemble des parties prenantes et servant de guide d’action pour les années à venir.

Le Conseil d’évaluation de l’école, créé en 2020, a pris le problème à la racine et mis au point des guides d’auto-évaluation à destination des établissements. Il procède également chaque année à l’évaluation d’une tranche de 20% des écoles et des établissements publics ou sous contrat.

Dans son rapport de 2022 (Bilan de la campagne d’évaluation 2021-2022 des écoles et des établissements CEE – Rapport annuel – Campagne d’évaluation des établissements 2020-2021 [Février 2022]) le Conseil exploite la richesse des informations recueillies dans les réponses à ses questionnaires et livre d’intéressantes conclusions sur la capacité des établissements scolaires à identifier leurs marges d’autonomie et formaliser leurs axes propres de développement. On voit ainsi que certains domaines ne sont pas encore perçus comme prioritaires : le rôle des parents, le numérique, les besoins des élèves.

L’auto-évaluation, aidée par les guides fournis aux établissements, devrait devenir une pratique courante : les établissements ne manquent ni des informations nécessaires, fournies par l’appareil statistique performant de la DEPP, ni du souci de bien faire. Encore faut-il qu’ils s’engagent dans une démarche plus stratégique qui admette la formulation de priorités, prenant appui sur le contexte et sur les besoins des élèves, qu’ils aient le désir et la volonté de leur propre autonomie et qu’ils soient soutenus dans leur démarche.

Une culture en construction donc, et en progrès, qui relativise le jugement habituellement négatif sur l’évaluation dans l’éducation.

La difficile conquête de l’autonomie collective

20 septembre 2023 l Alain Bouvier – Recteur et Professeur associé à l’université de Sherbrooke

Au moment où le sujet de l’autonomie des établissements scolaires est redevenu un sujet d’actualité qui provoque de sains débats, il est intéressant d’observer comment, en France, cette idée a politiquement et discrètement glissé de la gauche vers le centre-droit et la droite, sans pour autant renier ses origines. Désormais, ni de gauche ni de droite, elle est bien dans l’air du temps !

Très tôt, après mai 1968, l’idée d’autonomie collective fut mise en avant par de nombreuses associations professionnelles comme le GFEN, les Cahiers pédagogiques, Éducation et Devenir, mais aussi les syndicats réformateurs. C’était alors clairement un thème de gauche, présent dans les rapports rédigés à la demande d’Alain Savary, par Antoine Prost sur les lycées, Louis Legrand sur les collèges, André de Peretti sur la formation, rapports qui eurent les succès relatifs que l’on sait.

Plus tard, l’idée fut reprise par des ministres parfois d’un autre bord politique, comme Christian Beullac ou René Monory, mais aussi plus récemment, par Najat Vallaud-Belkacem, puis aujourd’hui par Emmanuel Macron. Il faudrait donc plusieurs pages pour décrire, affiner et analyser cette évolution politique qui s’est faite par étapes et qui sans doute doit beaucoup aux sciences de gestion, discipline universitaire mondiale très active.

Notons qu’à partir de 1983, durant les vingt années des trois vagues de décentralisation, fut mise en avant l’importance du local et de la proximité, des thèmes chers aux innovateurs engagés aujourd’hui. On peut noter qu’alors (sauf exception avec les ZEP), la majorité des sujets donnant aux acteurs de terrain des marges d’autonomie collective à employer comme ils le souhaitaient, ont eu une courte durée de vie : les 10%, les PAE, les démarches de projet, le contrôle continu des connaissances, les TPE, la formation continue des enseignants, etc. Ils étaient souvent créés par un ministre, à peine tolérés par son successeur et supprimés par le suivant, indépendamment de leurs options politiques. À l’Éducation nationale, ainsi va le cycle des innovations institutionnelles lorsqu’elles ont pour but de favoriser l’autonomie collective. Notons, au passage, qu’il y aurait long à écrire sur l’innovation, cette idée proche et qui révulse les statuquologues !

Des virages politiques se sont succédé après les années 1980, à travers les démarches de projet, la communication et l’évaluation des politiques publiques. Sur ce dernier point, si l’on en croit le N°178 d’Administration et Éducation que l’AFAE vient de publier, à l’Éducation nationale, en 40 ans, on ne discerne aucun progrès, malgré l’impulsion initiale donnée par ce que l’on nomme « la circulaire Rocard ».

Observons encore qu’en 2 001, avec le vote à l’unanimité d’une loi organique des lois de finances, la LOLF, il fut préconisé que tout le secteur public se mette à pratiquer un pilotage par les résultats. Ce concept fut très lent à pénétrer le monde scolaire, enclin à avoir les yeux plus rivés sur le passé que vers le futur. Pourtant, sur le terrain, qui ne vise pas la qualité, voire l’excellence des résultats des actions qu’il conduit ? Pourquoi, aussitôt, chaque enseignant ne s’en est-il pas emparé ? Ce mouvement quasi mondial connut suivant les pays et les périodes qui suivirent, de multiples variantes tenant aux cultures et à l’Histoire de chaque lieu.

L’idée d’autonomie collective

Depuis 25 ans, l’autonomie collective est un sujet moins politique et moins administratif au sens étroit du terme, car influencé par les sciences de gestion. Concrètement, nous le savons, le terrain scolaire français est souvent entre les mains d’un ventre mou pédagogique voulant bien faire, sans plus, mais heureusement tiré par les actions des innovateurs engagés qui furent très remarqués pendant la crise sanitaire. Ce ventre mou est donc bordé par l’immobilisme paralysant des statuquologues d’un côté et par les dynamiques et entrainants innovateurs engagés de l’autre.

Au printemps, cette idée d’autonomie collective a été replacée sous les projecteurs de l’actualité par le Conseil National de la Refondation (CNR). Il lui donne un spectaculaire coup d’accélérateur. Cette initiative présidentielle ouvre des espaces de liberté collective. Mais certains voient en elle l’influence de ce qu’ils considèrent comme une volonté libérale, sans préciser le sens qu’ils donnent à ce mot valise, même si l’on devine les influences marxistes qui les imprègnent. En fait, l’autonomie collective se situe dans la tension entre les extrêmes politiques, comme si elle ne s’affichait ni de gauche ni de droite, tout en étant partagée entre les initiatives de groupes pédagogiques divers, dont ceux qui prônent l’immobilisme ! Qui donc, aujourd’hui, souhaite voir se développer l’autonomie collective ?

Dans l’École de mes rêves (mon dernier livre), l’innovation et l’autonomie collective constituent l’un des quatre piliers de cette école. Nous sommes tous bien conscients que forger du commun, demande de la volonté collective, du courage, des compétences collectives et surtout le sens des responsabilités et du rendu de comptes, ce qui, actuellement, en règle générale, fait souvent et cruellement défaut sur le terrain. Là est donc le problème.

Le cadre récemment proposé par les pouvoirs publics avec le CNR afin de faciliter les initiatives collectives, n’est-il pas une occasion formidable à saisir, quelles que soient les intentions réelles de ceux qui nous gouvernent et que l’on ne peut pas connaître ? Sans doute est-il une opportunité pour que les innovateurs engagés puissent agir sans être brimés par leurs proches, sans tomber sous les fourches caudines des statuquologues, chantres de l’immobilisme, qui ne font jamais confiance à personne sauf aux circulaires. Pour qu’ils puissent tirer le navire en entrainant avec eux le ventre mou ?

Après 70 ans d’uniformité stérile et génératrice d’iniquité croissante, le temps est venu de donner une chance aux équipes dans les établissements, à charge pour l’État d’assurer la régulation de l’ensemble. Il devra donc apprendre à le faire, ce qui me semble bien au-delà de ses savoir-faire actuels. C’est aux antipodes de la culture bureaucratique wébérienne.

Comme le fait remarquer Jean-Charles Ringard : « il ne peut y avoir ni autonomie sans responsabilité, ni responsabilité sans évaluation, ni évaluation sans conséquence ». L’autonomie collective est donc une redoutable conquête à mener ! Mais pour tous, quelle formidable opportunité d’apprentissages. Je ne résiste pas à l’envie de citer un écho de J.F. Kennedy, que m’a aimablement soufflé Claude Bisson-Faivre : « Je me demande si l’autonomie collective n’est pas plus une nouvelle frontière à atteindre qu’un défi à relever ». Et s’il avait raison ?

evaluation acteurs publics

Évaluer est aussi important que légiférer

4 novembre 2020 l Danièle Lamarque – Présidente de la Société européenne d’évaluation

L’évaluation des politiques publiques est dans l’actualité : les deux rapports du Conseil d’Etat et de l’IGA, relayés par les Rencontres des acteurs publics des 12 et 13 octobre et le numéro de la Revue publié fin novembre, ne laissent rien ignorer de la situation de l’évaluation en France et du rôle de ses différents acteurs.

Qu’en est-il au Parlement ? Laurent Saint Martin, rapporteur général du budget et de la Mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances à l’Assemblée nationale, rappelle l’importance de l’évaluation dans le travail parlementaire, les avancées du Printemps de l’évaluation, et les étapes qui restent à franchir pour faire de l’évaluation un outil de la transformation publique, et de l’efficacité de la dépense publique un véritable enjeu démocratique.

Les parlements sont souvent dans le monde des acteurs faibles de l’évaluation, celle-ci étant plus ou moins institutionnalisée selon le poids politique des assemblées, leur proximité avec l’exécutif, ou le statut de l’opposition. L’évaluation est plus développée dans un régime parlementaire ou dans un pays comme les Etats Unis où le pouvoir législatif peut basculer en totalité dans l’opposition.

Qu’en est-il au Parlement français ? Quelles avancées récentes, quelles étapes à franchir encore pour inscrire l’évaluation au cœur des deux axes de la fonction parlementaire, la fabrique de la loi et le contrôle de l’exécutif ?

La faiblesse du dispositif d’évaluation parlementaire, marqué notamment par les carences de la procédure des études d’impact des lois, l’application encore timide des expérimentations et des clauses de révision, et l’inscription insuffisante des évaluations ex post dans le processus de construction des politiques publiques, est relevée dès le début de la législature par plusieurs rapports parlementaires, de Valérie Petit et Pierre Morel-A-L’Huissier, et du groupe de travail présidé par Jean-Noël Barrot. Ce dernier institue le Printemps de l’évaluation, qui a eu sa deuxième édition, plus étoffée, en 2020. L’examen de l’exécution du budget, traditionnellement négligé, devient un temps de débat et de rendez-vous avec l’exécutif.

C’est une première étape dans un processus encore inachevé, mais qui met en évidence la dimension politique nouvelle de l’évaluation, dont des députés comme Charles de Courson ont régulièrement déploré l’absence. L’exigence des citoyens pour une action publique plus efficace s’est accrue, leur demande d’être mieux associés à sa définition se fait plus pressante. Quelle que soit leur commission d’appartenance, ni les députés ni les sénateurs ne peuvent plus ignorer l’évaluation.

Aller plus loin suppose des évolutions dans les textes parfois, l’organisation et les procédures souvent, la culture à coup sûr. Si l’évaluation relève de la fonction de contrôle du Parlement, elle se distingue du contrôle proprement dit (le « pilonnage » dénoncé par Richard Ferrand) par ses méthodes et ses finalités ; quant au contrôle politique, invoqué par Gérard Larcher, l’évaluation concourt à préparer, par son expertise, l’organisation du débat démocratique.

Pour inscrire réellement le travail parlementaire dans le cycle vertueux de l’évaluation, selon Laurent Saint Martin, il faut encore rationaliser le dispositif d’évaluation parlementaire, porté par diverses instances ; mieux l’articuler avec l’expertise de la Cour des comptes (notamment l’article 58-2 de la LOLF), dans un objectif plus explicite d’efficacité de la dépense et de transformation publique ; et l’élargir à une dimension transversale de l’évaluation.

Il y a bien d’autres pistes encore, qui ne relèvent pas toutes du Parlement lui-même, mais qui soulignent les enjeux de l’évaluation pour les années à venir, en termes de disponibilité et de qualité des données, de relation à la communauté académique, de définition des rôles respectifs des acteurs, d’organisation et de dévolution de la fonction d’évaluation, et enfin et surtout d’évaluation des politiques partagées entre l’Etat et les collectivités locales.